Job crafting et leisure crafting, des moteurs de création de sens et d’engagement au travail

Interprétation scientifique

Le caractère dynamique et changeant des contextes de travail actuels soumet les salariés/employés à de nouveaux défis de performance et d’adaptation, lesquels peuvent influencer négativement leur engagement envers le travail. Le job crafting (façonnement de son emploi) devient ainsi une pratique de plus en plus répandue auprès des salariés/employés qui cherchent à créer du sens dans leur travail à partir de leurs occupations professionnelles. Ce faisant, leur engagement envers le travail s’en trouve généralement accru. Le job crafting n’est pas adapté à tous les types d’emplois? Qu’à cela ne tienne! Le leisure crafting (façonnement de ses temps libres) s’avère une avenue intéressante pour la création de sens à l’extérieur du travail!

Pour mieux comprendre ces phénomènes, nous avons interprété l’étude de Petrou et ses collaborateurs, publiée en 2017. Cette étude visait à évaluer l’interrelation entre l’importance accordée par un salarié/employé à son rôle professionnel et le job crafting, ainsi que l’impact de ce dernier sur la création de sens et l’engagement envers le travail. Les auteurs se sont également intéressés au rôle compensatoire du leisure crafting sur la création de sens dans la vie des salariés/employés pour lesquels le job crafting n’est pas possible.

Conseillère experte

Étienne Fouquet, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke

Auteurs

Patrice Daneau, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke

JOSÉE CHARBONNEAU, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke

Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke.

QU’ENTEND-ON PAR :

Création de sens au travail

La création de sens au travail réfère à la capacité d’une personne à intégrer les différents paramètres de son emploi dans son système de sens personnel, lequel est fondé sur ses valeurs et ses besoins. Ainsi, c’est la capacité d’attribuer une raison d’être à des situations difficiles ou ambigües vécues au travail. Il faut donc distinguer la création de sens de la perception du sens au travail, dans la mesure où la perception du sens est un processus d’évaluation intrinsèque des différentes expériences d’une personne basée sur ses valeurs et ses besoins profonds, alors que la création de sens suppose l’établissement de liens cohérents entre les paramètres du travail d’une personne et ses critères personnels de perception de sens (ses valeurs et besoins profonds).

Par exemple, un préposé à l’entretien ménager dans un hôpital peut trouver le sens de son travail dans le contact avec les patients, qui lui rappellent l’importance de son travail pour leur bien-être. En établissant des contacts avec des personnes avec lesquelles il n’interagirait normalement pas, ce préposé attribue une raison d’être nouvelle à son travail; il crée du sens dans son travail.

Job crafting

Le job crafting réfère à la façon dont les salariés/employés façonnent leur travail de manière à lui apporter des améliorations. Dans le cadre de cet article, il est abordé dans une perspective large, soit en référence aux comportements adoptés par les salariés/employés visant à accroître (1) leurs ressources sociales au travail (p. ex. : conseils, entraide), (2) leurs ressources structurelles (p. ex. : possibilités d’apprentissage, autonomie) et (3) leurs défis professionnels (p. ex. : nouvelles responsabilités).

Les trois dimensions du job crafting favorisent l’engagement et la création de sens au travail d’un salarié/employé, car elles influent positivement sur sa perception de jouer un rôle professionnel utile, aligné sur ses valeurs et ses besoins, et de disposer des ressources et compétences nécessaires pour ce faire. De fait, en plus d’instaurer un environnement propice à la croissance personnelle et à l’apprentissage, le job crafting contribue à accroître l’accès d’un salarié/employé au soutien instrumental et émotionnel de ses collaborateurs, à satisfaire ses besoins psychologiques par l’établissement de relations avec les autres et à fortifier son sentiment de compétence. Dans l’étude qui nous occupe, les salariés/employés qui accordent une grande importance à leur travail seraient davantage amenés à le façonner pour en augmenter le sens.

Leisure crafting

Le leisure crafting réfère aux comportements adoptés par les salariés/employés pour favoriser la poursuite proactive d’activités de loisirs hors du travail. Il permet ainsi à l’individu de créer du sens dans sa vie par l’entremise de l’accomplissement d’objectifs personnels, de connexions humaines, d’apprentissages et d’occasions de développement personnel.

Pour certains, le leisure crafting peut compenser la difficulté ou l’impossibilité d’apporter des modifications satisfaisantes à leur travail. Bien qu’ils ne puissent que difficilement donner une raison d’être à leur travail en changeant ses paramètres, ce que permet le job crafting, les salariés/employés pourraient néanmoins créer un sens plus large dans leur vie par l’entremise de leurs loisirs. Qui plus est, certains trouveront plus facilement leur compte au travail si ce dernier leur permet de se réaliser dans leurs loisirs (que ce soit en raison d’un salaire intéressant, de conditions de travail flexibles ou d’un emploi qui favorise l’engagement social et communautaire des salariés/employés).

Référence complète

Petrou, P., Bakker, A. B., & den Heuvel, M. (2017). Weekly job crafting and leisure crafting: Implications for meaning‐making and work engagement. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 90(2), 129-152.

Méthode

Le réseau de contacts des chercheurs a été mis à profit pour recruter les participants à l’étude. Ces derniers ont reçu une invitation par courriel incluant des informations sur le but de la recherche et un lien vers un sondage en ligne. La participation au sondage était néanmoins volontaire.

  • 105 salariés néerlandais
  • Secteurs multiples
  • Recrutement en échantillon par réseau
  • Âge moyen de 40,7 ans
  • Moyenne des heures travaillées :
    • Femmes : 30,1 h/semaine
    • Hommes : 37,1 h/semaine

Comme certains participants ne travaillaient pas tous les jours, le courriel était envoyé tous les mercredis et demandait aux répondants de remplir le sondage avant le dernier jour ouvrable de la semaine, quel qu’il soit. Des rappels étaient transmis tous les vendredis et le week-end aux participants qui n’avaient pas répondu au sondage.

Que révèlent les résultats de l’étude?

Plus les salariés/employés accordent de l’importance à leur rôle professionnel, plus ils sont susceptibles de s’engager dans leur travail et de le façonner pour lui donner du sens.

En revanche, moins les opportunités de job crafting sont présentes, plus le leisure crafting joue un rôle significatif sur la création de sens dans la vie des salariés/employés.

Principaux résultats

Piste d’interprétation

1. Plus le salarié/l’employé perçoit positivement son rôle professionnel, plus…

L’interrelation entre le job crafting et l’engagement
est positive.

 

  • Les salariés/employés qui perçoivent leur travail comme important ont tendance à se donner les moyens d’en améliorer les aspects.
  • La possibilité, pour les salariés/employés, d’améliorer leur contexte de travail accroît leur perception d’avoir un certain contrôle sur leur vie et leur désir de se dévouer à leur travail.

L’augmentation des ressources structurelles favorise la création de sens au travail.

  • Les salariés/employés qui ont la possibilité d’augmenter leurs ressources structurelles (p. ex. : possibilités d’apprentissage, autonomie) ont le sentiment de pouvoir davantage exploiter leur potentiel et aligner leur vie selon leurs valeurs et besoins.

2. Moins les opportunités de job crafting sont présentes, plus…

Le leisure crafting a un impact important sur la création de sens dans la vie des salariés/employés.

  • Si le façonnement d’un emploi est difficile, voire impossible, dans le milieu de travail, les loisirs peuvent devenir davantage créateurs de sens dans la vie des salariés/employés.
  • Bien qu’il puisse faciliter la création d’un sens plus large dans la vie des salariés/employés, le leisure crafting n’améliore toutefois pas l’engagement ni la création de sens au travail chez ces derniers. Il apporte plutôt une raison d’être positive plus générale à l’ensemble des activités d’une personne.

PISTES D’ACTION POUR LES EMPLOYEURS

Pistes d’action

Exemples

Job crafting

Accroître les possibilités de job crafting

  • Pensez à la possibilité d’instaurer des interventions en milieu de travail (voir encadré plus bas pour un exemple). Ces interventions sont souvent utilisées dans la pratique et ont mené à des résultats positifs pour les salariés/employés et les organisations par le passé.
  • Soyez à l’écoute des petits changements proposés par vos salariés/employés; ces petits détails peuvent faire toute la différence et sont souvent peu coûteux.
  • Adoptez une certaine souplesse quant à l’espace physique du lieu de travail. Par exemple, le fait pour un salarié/employé de pouvoir choisir l’endroit où il travaille dans l’immeuble peut augmenter son sentiment d’autonomie. De plus, la possibilité de travailler près de personnes qui lui sont chères peut donner un sens nouveau à son travail grâce aux relations interpersonnelles.
  • Pensez à inclure, si possible, les salariés/employés concernés dans les décisions managériales qui relèvent de leurs compétences. Cela permet d’augmenter leur sentiment d’autonomie.
  • N’hésitez pas à octroyer des responsabilités supplémentaires à vos salariés/employés, en vous assurant toutefois que ces ajouts ne soient pas un poids trop lourd à porter. Bien que vous puissiez penser qu’elles seront reçues négativement, il s’avère qu’elles représentent généralement des défis stimulants pour les salariés/employés. Cela leur démontre qu’ils ont le pouvoir de faire une différence dans l’organisation.

Leisure crafting

Reconnaître l’importance des activités de loisirs

  • Facilitez les activités de loisirs de vos salariés/employés en dehors du travail ou favorisez leurs loisirs, s’ils le souhaitent, dans le cadre d’événements sociaux liés au travail. Cela peut se traduire par une souplesse des horaires de travail ou une forme d’encouragement, par des commandites par exemple, pour participer à certaines activités en dehors du travail.
  • Mettez sur pied des comités d’activités non professionnelles, auxquelles les salariés/employés pourront participer. Lorsque possible, un budget peut être alloué pour ce genre d’initiatives.
  • Évitez de trop pousser les salariés/employés dans des activités de loisirs, car cela pourrait leur sembler forcé et intrusif. Les salariés/employés devraient être considérés comme des agents actifs capables d’utiliser à la fois leur travail et leurs loisirs comme ils l’entendent, afin d’améliorer leur vie professionnelle et leur vie privée.

EXEMPLE D’UNE INTERVENTION EN JOB CRAFTING

Voici un exemple d’intervention en job crafting, effectuée auprès de policiers néerlandais en 2015. L’intervention a été menée auprès de groupes d’un maximum de 20 personnes, afin de favoriser leur participation active. Elle consistait en une journée de formation commune, 4 semaines de travail personnel sur les objectifs de job crafting et une demi-journée de réflexion sur les actions posées individuellement.

  1. Les participants ont cartographié l’ensemble de leurs tâches, demandes et ressources sur une affiche.
  2. Les participants ont été invités à identifier les situations au travail qu’ils aimeraient créer (que ce soit au niveau de la nature des tâches, des relations interpersonnelles ou de l’aménagement de l’espace physique du travail, par exemple). Cette étape a été facilitée par l’aspect visuel de l’affiche créée préalablement.
  3. Des histoires personnelles de job crafting ont été partagées et analysées dans le groupe.
  4. Un plan avec des objectifs de façonnement spécifiques, tels que la recherche de ressources, la réduction des demandes et la recherche de défis, a été élaboré par chaque participant.

Voici un exemple de recherche de ressources :

« Mardi prochain à 9 h 30, je vais demander des commentaires à un collaborateur concernant mon travail sur le plan de circulation. »

Voici un exemple de recherche de défis :

« Cette semaine, je vais entrer en contact avec des tiers pour développer mes compétences de négociation. »

Voici un exemple de réduction de la demande :

« La semaine prochaine, j’accomplirai moins de tâches écrites et j’utiliserai mon temps de déplacement pour rédiger les rapports. »

  1. À la fin de chaque semaine, du temps était prévu afin que les participants réfléchissent à leurs réalisations et prennent de nouveaux engagements, par exemple : « Vendredi prochain, sur le chemin du retour, je réfléchirai à ce qui s’est bien passé cette semaine ».
  2. Ce plan de façonnement personnel a été mené pendant 4 semaines. Les expériences ont ensuite été partagées par les participants lors d’une séance de réflexion en commun.

Tiré de : Heuvel, M., Demerouti, E., & Peeters, M. C. (2015). The job crafting intervention: Effects on job resources, self‐efficacy, and affective well‐being. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 88(3), 511-532.

RECOMMANDATION DE NOTRE EXPERT

Le job crafting est souvent présenté comme une démarche personnelle de création de sens appartenant aux salariés/employés, mais il demeure qu’il peut être facilité et encouragé par le manager/gestionnaire. Bien qu’on ne puisse obliger une personne à créer du sens dans sa vie et dans son travail, il existe certaines façons d’en favoriser le processus.

Par exemple, si une intervention n’est pas possible ou trop coûteuse dans votre organisation, une simple présentation de ce type de démarche ou d’exemples concrets de ce qu’une personne peut changer dans son travail peut donner des outils suffisants aux salariés/employés pour les encourager à façonner eux-mêmes leur emploi.

Une autre possibilité est de questionner les salariés/employés sur les différents aspects qui composent leur travail. Par exemple, lors d’une évaluation annuelle ou bisannuelle, il peut être intéressant de questionner les salariés/employés sur les changements mineurs qui pourraient être apportés à leur travail, de façon à l’améliorer. Cette ouverture est généralement bien reçue et elle permet de faire des ajustements qui peuvent paraître banaux, mais qui font parfois toute la différence. Ce genre de pratiques a souvent des incidences positives sur le taux de roulement des salariés/employés.

Finalement, il est important de souligner que le job crafting et le leisure crafting ne sont pas bénéfiques qu’aux seuls salariés/employés. Les managers/gestionnaires peuvent eux aussi profiter de leurs bienfaits!

 

POUR CITER CETTE INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH

Fouquet, E., Daneau, P., Charbonneau, J. (2018). Job crafting et leisure crafting, des moteurs de création de sens et d’engagement au travail. Interprétation scientifique Global-Watch disponible au www.global-watch.com

POUR CITER L’ARTICLE ORIGINAL DES AUTEURS DE L’ÉTUDE

Petrou, P., Bakker, A. B., & den Heuvel, M. (2017). Weekly job crafting and leisure crafting: Implications for meaning‐making and work engagement. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 90(2), 129-152.

Pierre Breton
Author: Pierre Breton