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Analyse comparée des normes et des guides en santé mentale au travail: comprendre leurs avantages et inconvénients
Légende: Recommandation de notre expert
Conseillère experte:
Marie-Michèle MANTHA-BÉLISLE, Conseillère scientifique – Équipe Promotion de la santé des travailleurs et prévention des risques psychosociaux du travail, Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)
Rédacteurs:
Rachèle HÉBERT, professionnelle de recherche, Université de Sherbrooke
Rébecca LEFEBVRE, professionnelle de recherche, Université de Sherbrooke
Étienne Fouquet, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke
Marie-Ève MAJOR, professeure agrégée en ergonomie, Faculté des sciences de l’activité physique, Université de Sherbrooke
Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke.
Il existe plusieurs guides et normes internationaux à la disposition des employeurs afin de bien encadrer la prévention et les interventions en santé mentale au travail. Mais qu’en est-il de l’efficacité de ces normes et guides? Lesquels correspondent le mieux aux besoins d’une organisation? Sur quels critères doit-on porter notre attention pour choisir une norme?
Pour répondre à ces questions, nous avons interprété l’étude de Memish et ses collègues, publiée en 2017, qui visait à évaluer les lignes directrices sur la santé mentale au travail développées pour les employeurs 1) en déterminant la qualité des lignes directrices répertoriées à l’échelle internationale et 2) en évaluant l’exhaustivité de ces lignes directrices sur les plans de la prévention, de la détection et de la prise en charge des problèmes de santé mentale au travail par les employeurs.
Qu’entend-on par : « Lignes directrices » :
Il existe plusieurs lignes directrices internationales en santé mentale au travail, mais, selon les pays, les contextes législatifs et les organismes qui les élaborent, elles varient en termes de contenu, d’applicabilité et de retombées. De plus, ces lignes directrices peuvent prendre la forme tantôt de normes, tantôt de guides ou de cadres portant sur les meilleures pratiques pour soutenir les milieux de travail.
Normes
Une norme est un document qui fixe des critères que les organisations utilisent pour développer des produits et des processus. La norme offre l’avantage de fournir un cadre pour le développement et le déploiement de pratiques exemplaires.*
Les normes proviennent d’organismes de normalisation reconnus (provinciaux, nationaux, ou internationaux) et mènent à une certification. Soulignons que l’Organisation internationale de normalisation, conventionnellement appelée ISO, publie des normes internationales destinées à harmoniser entre elles les normes nationales.
Guides
Les guides sont des outils disponibles et publiés, par exemple, par des organismes ou organisations afin d’informer et de fournir des pistes d’intervention de qualité. Ils fournissent parfois des formulaires, démarches par étapes et processus d’évaluation qui rejoignent les pratiques exemplaires quant à la santé mentale au travail
*Définition provenant de CSA : http://www.csagroup.org/fr/codes-normes/a-propos-des-normes/
Que révèlent les résultats de l’étude?
Quatre documents en santé mentale au travail se démarquent.
Les auteurs ont évalué la qualité et l’exhaustivité de 20 documents répertoriés à l’international qui ont été développés pour les employeurs (norme, guide, cadre). Pour ce faire, ils ont examiné les critères suivants :
- les objectifs et résultats attendus
- la rigueur du développement
- la clarté de la présentation
- la participation des parties prenantes
- l’applicabilité
- la cohérence avec les obligations légales
Méthode
Revue systématique de la littérature
1. Publications anglophones et littérature grise
- Médecine
- Psychologie
- Santé publique
- Gestion
- Santé et sécurité au travail
2. Consultation d’experts en médecine, en psychologie, en santé publique, en promotion de la santé mentale et en gestion de la santé et de la sécurité au travail afin d’établir un cadre des meilleures pratiques entourant la gestion de la santé mentale.
Une revue systématique est une méthode d’évaluation et de synthèse des informations de la littérature scientifique qui suit un ordre prédéterminé d’étapes à suivre pour y arriver.
La littérature grise est toute publication non contrôlée par des éditeurs commerciaux, mais produite par le gouvernement, les universitaires, les organisations ou l’industrie.
Le tableau ci-dessous présente les 4 documents ayant reçu la meilleure analyse comparée par les auteurs de l’étude.
Dans chacun des documents analysés, les « Éléments importants à retenir » ont été relevés. Ceux-ci représentent les facteurs sur lesquels portent les actions proposées dans le document.
Une attention particulière doit être portée à l’étape d’évaluation de ces facteurs afin de mettre en place un plan d’action adapté aux besoins des salariés / employés. Selon le contexte et les préoccupations, les organisations peuvent baser leur programme de santé mentale au travail sur l’un ou l’autre de ces documents en fonction de facteurs concrets, en plus des avantages évoqués dans ce tableau.
1.
Nom de la norme : Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail – Prévention, promotion et lignes directrices pour une mise en œuvre par étapes
Organisme ayant élaboré la norme : Commission de la santé mentale du Canada, Bureau de normalisation du Québec, Canadian Standards Association (Groupe CSA)
Pays : Canada
Avantages
- Objectifs et résultats attendus
- Participation des parties prenantes
- Inclut des recommandations et fournit des actions pratiques pour
- l’individu et l’organisation
- minimiser les facteurs de risque sur le lieu de travail
- promouvoir les facteurs positifs et protecteurs sur le lieu de travail
- la prévention primaire, secondaire et tertiaire
Inconvénients
- Manque de clarté de la présentation
Éléments importants à retenir
Cette norme est celle qui couvre le plus de facteurs, allant des facteurs de risque aux facteurs de conséquences pour le milieu :
- Soutien psychologique
- Culture organisationnelle
- Leadership et attentes clairs
- Politesse et respect
- Exigences psychologiques de l’emploi
- Croissance et perfectionnements
- Reconnaissance et récompenses
- Participation et influence
- Gestion de la charge de travail
- Engagement
- Équilibre travail – vie personnelle
- Protection psychologique contre la violence, l’intimidation et le harcèlement
- Protection de l’intégrité physique
2.
Nom du cadre : Psychosocial risk management excellence framework
Organisme ayant élaboré le cadre : PRIMA-EF Consortium
Pays : Union Européenne
Avantages
- Rigueur du développement du cadre décrit
- Inclut des recommandations et fournit des actions pratiques pour
- l’individu
- minimiser les facteurs de risque sur le lieu de travail
- promouvoir les facteurs positifs et protecteurs sur le lieu de travail
- la prévention secondaire et tertiaire
Inconvénients
- Applicabilité restreinte
- Manque de cohérence avec les obligations légales
- Inclut des recommandations, mais ne fournit pas d’actions pratiques
- pour l’individu
- la prévention primaire
Éléments importants à retenir
À partir de concepts théoriques, ce cadre répertorie les risques psychosociaux qui doivent être pris en compte dans les politiques et les pratiques d’une organisation :
- Contenu du travail
- Charge et rythme de travail
- Horaire de travail
- Contrôle (ou autonomie)
- Environnement de travail et équipements
- Culture organisationnelle
- Relations interpersonnelles au travail (soutien)
- Organisation des rôles
- Équilibre travail – vie personnelle
3.
Nom du guide : Heads up: a guide for employers and employees
Organisme ayant élaboré le guide : The Mentally Healthy Workplace Alliance
Pays : Australie
Avantages
- Objectifs et résultats attendus
- Participation des parties prenantes
- Inclut des recommandations et fournie des actions pratiques pour
- l’individu et l’organisation
- minimiser les facteurs de risque sur le lieu de travail
- la prévention primaire et secondaire
Inconvénients
- Applicabilité restreinte
- Manque de cohérence avec les obligations légales
- N’inclut pas de recommandations ni d’actions pratiques pour
- promouvoir les facteurs positifs et protecteurs sur le lieu de travail
- la prévention tertiaire
Éléments importants à retenir
Ce guide fait état de certains facteurs qui contribuent au stress au travail ainsi qu’à la mauvaise santé du personnel :
- Demande de travail trop élevée (demande physique, émotionnelle et mentale)
- Faible degré de contrôle (ou autonomie)
- Faible soutien des supérieurs
- Conflit de rôles ou manque de clarté dans les rôles
- Mauvaise gestion des relations
- Faible niveau de reconnaissance et de récompense
4.
Nom du document : Managing the causes of work related stress: a step-by-step approach using the management standards
Organisme ayant élaboré le document : The Mentally Healthy Workplace Alliance
Pays : Royaume-Uni
Avantages
- Objectifs et résultats attendus
- Inclut des recommandations et fournit des actions pratiques pour
- l’organisation
- minimiser les facteurs de risque sur le lieu de travail
- la prévention primaire et secondaire
Inconvénients
- Manque de clarté de la présentation
- Manque de cohérence avec les obligations légales
- Inclut des recommandations, mais ne fournit pas d’actions pratiques pour
- la prévention tertiaire
- N’inclut pas de recommandations ni d’actions pratiques
- pour l’organisation
- promouvoir les facteurs positifs et protecteurs sur le lieu de travail
Éléments importants à retenir
Ce document recense six pratiques de management à évaluer pour agir en prévention primaire afin de réduire les différentes sources de stress :
- Demande (charge de travail ou exigences)
- Contrôle (autonomie)
- Relations (soutien)
- Rôle
- Changement
ATTENTION!
D’une norme ou d’un guide à l’autre, on retrouve les mêmes facteurs de risque à évaluer :charge (ou demande ou exigences) de travail, soutien (ou relations interpersonnelles), reconnaissance et contrôle (ou influence ou autonomie). Ces facteurs sont reconnus scientifiquement pour avoir des effets (positifs ou négatifs) sur la santé mentale au travail. Agir sur ces facteurs de risque représente la pierre angulaire d’une intervention en santé mentale au travail.
Parce qu’il faut toujours interpréter une étude avec prudence
Normalement, l’évaluation de la réussite de la méthode Kaizen en organisation est plus efficace lorsqu’on observe son effet sur un groupe d’individus. Bien que cette étude se base sur l’analyse de deux groupes, le bien-être a été évalué de façon individuelle auprès de chaque salarié. Ainsi, il serait intéressant que d’autres études valident l’efficacité de la méthode Kaizen au niveau de ses effets sur le bien-être individuel, puisque ce n’est pas commun.
Recommandation de notre experte
Sur quoi faut-il porter notre attention avant, pendant et après la mise en œuvre de lignes directrices en santé mentale au travail?
AVANT |
Avant de s’engager dans une démarche en santé mentale au travail, l’organisation doit être prête! Elle doit s’engager à mettre en place une démarche qui comportera des actions en fonction de ses priorités et préoccupations, mais aussi des besoins des salariés / employés. Une fois ces derniers informés de la démarche, ils auront certainement des attentes élevées envers l’organisation. La haute direction doit être visible et montrer l’exemple. L’intégration de la prévention des problèmes de santé mentale dans ses pratiques ou ses politiques est un premier pas. Les parties prenantes (p. ex. : syndicat, ressources humaines) doivent être approchées et consultées. L’organisation doit soutenir les communications, car celles-ci sont essentielles à toutes les étapes de mise en place d’une telle démarche. Des actions ciblées sur ces 4 points permettent d’entreprendre, pas à pas, la démarche globale. |
Une recension des différents guides, normes ou cadres de référence peut être faite pour s’assurer que la démarche choisie corresponde aux besoins, aux capacités ainsi qu’aux préoccupations de l’organisation. L’article de Memish (2017), ici analysé, peut guider les organisations dans cette étape. Le choix de lignes directrices en santé mentale est un élément important de la démarche, mais l’engagement dans celle-ci s’avère essentiel. |
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PENDANT |
L’évaluation des risques en santé mentale au travail est présente dans les diverses lignes directrices proposées et elle est cruciale afin de mettre en place les meilleures actions : L’employeur et les parties prenantes peuvent avoir une idée des problèmes ou des besoins des salariés / employés, mais un diagnostic rigoureux viendra, soit confirmer ces idées ou encore dévoiler des besoins non soupçonnés. Un comité, idéalement représentatif (p. ex. : des directions, des catégories d’emploi, des sites) peut soutenir la démarche et apporter une crédibilité au sein de l’organisation. Les responsables de la mise en œuvre doivent posséder des connaissances et des compétences en santé mentale au travail. Il est essentiel de les former et de leur donner les outils nécessaires. Afin de répondre aux attentes des salariés / employés, des actions à court, moyen et long terme doivent être mises en place pour montrer l’engagement envers cette démarche. |
Afin de s’assurer d’une bonne évaluation, nous vous invitons à consulter cet outil disponible sur Global-Watch.com : Un rappel des 20 points à considérer pour la collecte de données auprès de vos employés | |
APRÈS LA MISE EN ŒUVRE |
Les différents documents cités font souvent référence aux 3 niveaux de prévention, soit primaire, secondaire et tertiaire, ainsi qu’aux interventions individuelles et organisationnelles. Les actions de prévention primaire, qui modifient à la source l’organisation du travail et qui visent à agir en amont du risque de la maladie (p.ex. réduire la charge de travail, augmenter la participation des employés aux décisions, etc.), sont reconnues comme les plus efficaces en raison de leur effet durable. Toutefois, la diminution du taux d’absentéisme pour maladie ou du taux de roulement doivent être attendus seulement à plus long terme. Il est donc important de combiner des actions de prévention primaire à portée organisationnelle à celles de prévention secondaire (qui vise à intervenir à un stade précoce de la maladie, par exemple lors d’apparition de symptômes du stress en offrant une formation sur la gestion du stress) et tertiaire (vise principalement les individus pour diminuer les récidives, les incapacités et limiter les complications et séquelles d’une maladie. Par exemple, un réseau d’entraide pour offrir du soutien aux personnes qui vivent des situations difficiles) qui permettront d’adapter l’individu à l’environnement de travail et d’intervenir en cas de problème de santé mentale. |
Si vous souhaitez évaluer les retombées de votre démarche en santé mentale au travail, donnez-vous du temps! Prenez en compte les différents facteurs organisationnels qui ont pu survenir en cours de mise en œuvre (p. ex. : réorganisation des services, changements technologiques, gestion de la performance) et réévaluer de façon fréquente les besoins des salariés / employés et les problèmes de santé au travail. |
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Implantez une démarche d’amélioration continue en santé mentale pour favoriser votre réussite et ainsi vous assurer d’avoir des salariés / employés en bonne santé mentale ! |
Deux références pour vous accompagner et vous soutenir dans votre démarche de mise en œuvre de lignes directrices pour la gestion de la santé mentale au travail :
1. Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail – Prévention, promotion et lignes directrices pour une mise en œuvre par étapes. CAN/CSA-Z1003-13/BNQ 9700-803/F2013 (C2018)
Vous pouvez télécharger cette norme gratuitement en cliquant ici
- Bureau de normalisation du Québec, Canadian Standards Association (CSA) (publication 2013)
- Norme volontaire destinée à fournir aux employeurs canadiens des lignes directrices systématiques afin de développer et améliorer continuellement des milieux de travail psychologiquement sûrs et sains pour leurs salariés / employés.
2. Psychosocial risk management excellence framework.
Pour plus d’informations sur ce cadre de référence, consultez le site Internet en cliquant ici
- PRIMA-EF Consortium
- PRIMA-EF fournit aux décideurs politiques, aux employeurs, aux syndicats, aux experts et aux salariés / employés un cadre complet de bonnes pratiques pour la gestion des risques psychosociaux au travail et faitpartie du World Health Organization’s Healthy Workplaces Framework.
POUR CITER CETTE INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH
Mantha-Bélisle, M.-M., Hébert, R., Lefebvre, R., Fouquet, E., Major, M.-E. (2018). Analyse comparée des normes et des guides en santé mentale au travail: comprendre leurs avantages et inconvénients. Interprétation scientifique Global-Watch disponible sur www.global-watch.com
POUR CITER L’ARTICLE ORIGINAL DES AUTEURS DE L’ÉTUDE
Memish, K., Martin, A., Bartlett, L., Dawkins, S., & Sanderson, K. (2017). Workplace mental health: An international review of guidelines. Preventive Medicine, 101, 213 222.