Communiquer sans improviser pour préserver la santé des travailleurs et de l’organisation en période de crise
Flash scientifique Global-Watch et pistes d’action
La pandémie qui sévit présentement force les employeurs à réorganiser leurs activités pour assurer la survie et la productivité de l’entreprise. Cette réorganisation n’est pas sans conséquence sur la santé des travailleurs et la pérennité des organisations. Pourquoi et comment la communication organisationnelle peut-elle permettre de passer à travers cette période de crise?
NOS PARTENAIRES
Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke et est soutenue par le Scientifique en Chef du Québec avec les Fonds de recherche du Québec.
Julie Rochefort est candidate au doctorat en administration des affaires (DBA) à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. Elle s’intéresse à la gestion des innovations dans le domaine de la santé.
Patrice Daneau est candidat au doctorat en administration des affaires (DBA) à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. Il s’intéresse aux rôles et aux comportements des employés pour favoriser la santé organisationnelle.
Les contenus en trame mauve constituent les recommandations des doctorants.
Qu’entend-t-on par?
Crise économique et de l’emploi [1]
Perturbations majeures de l’activité économique (p. ex. : fort ralentissement de la croissance économique; baisse du salaire moyen par ménage; compressions budgétaires) et du marché de l’emploi (p. ex. : réduction ou mise à pied d’effectifs temporaires ou permanentes, hausse du taux de chômage) qui se caractérise, entre autres, par l’incertitude et l’instabilité du contexte socio-économique et de l’imprévisibilité des marchés.
Tension psychologique
Perception d’un déséquilibre entre les ressources (p. ex. : sentiment de contrôle, soutien des collègues) dont nous disposons et les exigences de l’emploi (p. ex. : augmentation de la charge de travail dans un contexte de compressions budgétaires).
Sentiment d’insécurité
Inquiétudes quant aux ressources dont nous disposons (p. ex. : salaire, emploi, sécurité d’emploi, ancienneté, santé, argent, information, soutien) pour affronter les événements futurs (p. ex. : relance des activités économiques, retour au travail, engagements personnels et professionnels, continuité de l’emploi et maintien des avantages professionnels et sociaux).
Communication organisationnelle [2]
Ensemble des moyens mis en œuvre par l’organisation pour informer son personnel. La communication organisationnelle est efficace lorsque l’information est diffusée et circule librement, est multidirectionnelle (p. ex. : ascendante, verticale, descendante), est transparente et adaptée aux destinataires.
QUE RÉVÈLE DEUX ÉTUDES?
Une période de crise représente un stress important qui accroît les risques à la santé des travailleurs et de l’organisation.
SENTIMENT D’INSÉCURITÉ*, ** ET TENSIONS PSYCHOLOGIQUES *
ENTRAÎNENT
RISQUES À LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS
- Problèmes de santé psychologique et mentale* (p. ex. : détresse psychologique, épuisement professionnel, troubles anxieux, idées suicidaires et suicides)
- Problèmes de santé physique*
(p. ex. : perception d’être en mauvaise santé, maladies chroniques telles que le diabète ou les maladies cardiovasculaires) - Habitudes de consommation* (p. ex. : consommation d’alcool quotidienne plus élevée, plus grand nombre de prescriptions d’antidépresseurs)
ENTRAÎNENT
SANTÉ ORGANISATIONNELLE
- Attitudes du personnel** (p. ex. : insatisfaction du personnel)
- Sécurité du milieu de travail*, ** (p. ex. : hausse des accidents, blessures)
- Hausse de l’absentéisme*
- Hausse des réclamations** liées aux problèmes de santé
Lorsque la communication organisationnelle est efficace, le sentiment d’insécurité des travailleurs diminue et, par conséquent, les risques à la santé des travailleurs et à la santé organisationnelle diminuent également. **
L’information organisationnelle (p. ex. : annoncer à l’avance une réduction d’effectifs) représente une ressource pour le travailleur si elle lui permet de comprendre son environnement et d’augmenter son sentiment de contrôle pour s’ajuster, et mieux se préparer au futur (p. ex. : chercher un autre emploi ou prendre des mesures pour sa sécurité financière).
COMMENT COMMUNIQUER EN PÉRIODE DE CRISE POUR ATTÉNUER LES RISQUES À LA SANTÉ?
Employeurs
Mettez en œuvre une stratégie pour favoriser le dialogue au sein de l’organisation.
- **Identifiez un porte-parole crédible (p. ex. : membre de la direction) pour faire état de la situation (p. ex. : enjeux et difficultés de l’entreprise) et exprimer clairement les intentions (p. ex. : arrêt ou maintien des activités, suppressions de poste), les engagements (p. ex. : soutien spécifique aux employés mis à pied), les ressources internes et externes disponibles (p. ex. : fonds d’urgence, soutien psychologique) et les actions entreprises (p. ex. : priorisation des options pour l’organisation).
- Dédiez une équipe (ou une personne-ressource) aux communications et aux décisions en temps de crise (p. ex. : cellule de gestion de crise, équipe de communication ou ressources humaines qui inclut un membre de la direction) comme source principale d’information, et qui se montre proactive pour informer les travailleurs concernés, assurer un suivi et instaurer une routine (p. ex. : envoyer une communication tous les lundis et jeudis à une heure précise).
- Prévoyez des espaces de discussion (p. ex.: plateforme collaborative de discussions, rencontres virtuelles hebdomadaires de suivi) avec les parties prenantes (p. ex. : gestionnaire et son équipe, comité paritaire de santé et mieux-être au travail et direction) pour favoriser le dialogue et être en mesure de repérer les signes précoces de manque d’information ou de désinformation (p. ex. : rumeurs, incompréhensions)
- **Établissez et informez d’une procédure claire (p. ex. : indiquer une personne-ressource ou une adresse de courriel dédiée aux questions et préoccupations) pour que les travailleurs se sentent libres de s’exprimer. Garantissez la confidentialité du processus au besoin (p. ex. : disponibilité d’un formulaire).
Communiquez ouvertement, régulièrement et de manière transparente.
- **Instaurez une routine de mises à jour régulières (p. ex. : un format-message standard pour l’ensemble du personnel et du contenu spécifique selon les destinataires; et faire parvenir ce message dans la mesure du possible le même jour et à la même heure) pour informer de l’évolution des événements (p. ex. : bilan de la situation et des actions implantées et à venir; ouverture sur les défis, opportunités et préoccupations).
- **Faites preuve de clarté et de transparence dans l’information communiquée en expliquant ce qui est connu (p. ex. : le nombre de mises à pied temporaire à ce jour), ce que vous savez (p. ex. : aide gouvernementale qui sera reçue), ce que vous ignorez (p. ex. : s’il y aura d’autres mises à pied; date de reprise des activités), et ce que vous allez faire (p. ex. : plan de réembauche lors de la reprise des activités).
Prenez soin de référer à des faits vérifiables (p. ex. : politiques gouvernementales, données de santé publique) et d’indiquer les références de vos sources (p. ex. : personnes de la direction si vous avez des questions, rapports organisationnels) pour diminuer l’ambiguïté, limiter les fausses interprétations et les rumeurs au sein de l’organisation. Évitez les messages longs et fragmentés dans le temps (p. ex. : plusieurs fois par jour) ou simultanés (p. ex. : doublon de courriels par deux instances différentes).
- **Privilégiez, à court terme, des technologies déjà éprouvées, accessibles à tous et appropriées (p. ex. : plateforme collaborative, courriel) pour diffuser le message aux destinataires concernés (p. ex. : rappels des employés lors de la reprise des activités économiques) et centralisez l’information dont le personnel a besoin (p. ex. : portail interne pour informer des nouvelles mesures adoptées).
Gestionnaires
Faites circuler et diffuser l’information nécessaire.
- ** Tenez-vous informés de l’évolution de la situation et des nouvelles directives et, au besoin, allez chercher l’information nécessaire.
Référez aux ressources appropriées (p. ex. : cellule de crise; votre supérieur, programme d’aide aux employés).
- ** Soyez neutre en faisant circuler l’information et en clarifiant les raisons pour lesquelles les décisions sont prises; évitez de prendre position (p. ex. : manifester son accord ou son désaccord) et de nourrir les rumeurs et les doutes envers les actions entreprises par la direction.
Favorisez le dialogue et la participation.
- **Planifiez des rencontres quotidiennes avec l’équipe pour discuter de l’évolution de la situation et de la nouvelle information disponible (p. ex. : prendre 10 minutes au début des réunions d’équipe).
- **Initiez la discussion (p. ex. : demandez à chaque début de rencontre comment ça va), prenez le temps d’écouter les préoccupations de vos employés et les difficultés qu’ils vivent (p. ex. : insécurité financière ou d’emploi, changements organisationnels ou dans le travail) et confirmez votre compréhension de la situation (p. ex. : interrogez et reformulez ou résumez les propos).
Employés
Tenez-vous informé.e, posez des questions et soyez disposé.e à dialoguer.
- Identifiez et nommez vos besoins (p. ex. : connaître les secteurs touchés par les mises à pied) et vos préoccupations (p. ex. : connaître les critères pour les mises à pied) de même que vos insécurités (p. ex. : changements envisagés au sein du poste ou des conditions de travail).
- Prenez connaissance des ressources disponibles et offertes par votre organisation (p. ex. : foire aux questions, programme d’aide aux employés).
- Utilisez les canaux de communication appropriés (p. ex. : communiquer avec votre gestionnaire avant d’écrire un courriel au directeur général) et soignez votre style de communication (p. ex. : même si vous êtes stressé.e, ne communiquez pas sous le coup de l’émotion et demeurez courtois. N’utilisez pas les canaux de communication pour exprimer votre stress et votre sentiment d’incertitude.
POUR CITER CE FLASH SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH
Rochefort, J. et Daneau, P. (2020). Communiquer sans improviser pour préserver la santé des travailleurs et de l’organisation en période crise. Flash scientifique Global-Watch, disponible sur www.global-watch.com
Flash rédigé sous la direction de France St-Hilaire, professeure agrégée en ressources humaines à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.
POUR CITER LES ARTICLES ORIGINAUX DES ÉTUDES
* Mucci, N., Giorgi, G., Roncaioli, M., Fiz Perez, J., et Arcangeli, G. (2016). The correlation between stress and economic crisis: a systematic review. Neuropsychiatric disease and treatment, 12, 983–993. https://doi.org/10.2147/NDT.S98525
** Jiang, L., et Probst, T. M. (2014). Organizational communication: A buffer in times of job insecurity?. Economic and Industrial Democracy, 35(3), 557-579.
[1] Adaptée de Mucci et collègues (2016)
[2] Adaptée de Jiang et Probst (2014)