Facteurs de risques au travail
Interprétation scientifique
Lorsqu’il est question de santé au travail, il est connu que les facteurs de risques sont étroitement associés aux problèmes de santé mentale, aux troubles musculo-squelettiques et aux maladies cardiovasculaires, ce qui peut avoir des conséquences socioéconomiques importantes pour les organisations. C’est entre autres pour cette raison que la norme québécoise « Entreprise en santé » a été élaborée. Cette norme vise l’amélioration et le maintien de l’état de santé des personnes en milieu de travail. En 2018, Letellier et collaborateurs se sont penchés sur cette norme pour en évaluer les effets sur la prévalence de facteurs de risques au travail et de la détresse psychologique des salariés parmi dix organisations québécoises.
Conseillers experts
Marie-Claude Letellier, résidente en santé publique et médecin préventive, Université Laval
MICHEL VÉZINA, professeur émérite, Université Laval et médecin conseil, INSPQ
CAROLINE BIRON, professeur agrégé, département de management, Université Laval
Auteurs
Étienne FOUQUET, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke
MARIE-ÉLISE LABRECQUE, professionnelle de recherche, Université de Sherbrooke
Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke.
La Norme québécoise sur les entreprises en santé
La norme québécoise « Entreprise en santé » (NES) est une norme volontaire qui vise l’amélioration et le maintien de l’état de santé des personnes en milieu de travail. Celle-ci s’articule par la création de conditions favorables à la santé globale au sein de l’entreprise, en incluant une modification du processus de gestion dans le but de favoriser la participation des salariés et de la direction.
Les interventions mises en oeuvre dans le cadre de la NES ciblent quatre domaines d’intervention visant à améliorer la santé mentale et physique des salariés : (i) les habitudes de vie; ii) l’équilibre travail-vie personnelle; (iii) l’environnement physique; et (iv) les pratiques de management.
Pour tous les types d’organisations, il est possible d’opter pour l’un ou l’autre des deux niveaux d’engagement suivants :
Entreprise en santé : l’entreprise démontre clairement son engagement envers la santé et le mieux-être de ses salariés d’une façon structurée et planifiée, dans deux des quatre domaines d’intervention (incluant obligatoirement les habitudes de vie), en fonction des besoins du personnel révélés par une collecte de données, ainsi qu’en fonction des priorités de l’entreprise.
Entreprise en santé – Élite : les interventions touchent les quatre domaines d’intervention et la santé et le mieux-être sont davantage intégrés dans la culture de l’organisation et dans ses processus de gestion.Entreprise en santé – Élite : les interventions touchent les quatre domaines d’intervention et la santé et le mieux-être sont davantage intégrés dans la culture de l’organisation et dans ses processus de gestion.
Les interventions mises en oeuvre dans le domaine des pratiques de management comprennent des activités qui ciblent des facteurs de risques au travail. À ce titre, la mise en oeuvre de la NES peut aider à réduire les expositions professionnelles défavorables et améliorer la santé mentale des salariés.
QU’ENTEND-ON PAR :
Facteurs de risques au travail
Les facteurs de risques au travail sont reconnus comme une source importante de détresse psychologique et un facteur important dans le développement de problèmes de santé mentale. Ces risques peuvent prendre la forme (1) d’exigences psychologiques élevées (charge de travail élevée), (2) d’une faible latitude dans les décisions (faible autonomie décisionnelle), (3) d’un faible soutien social au travail (peu de soutien de la part des managers et des collaborateurs) et (4) d’un manque de reconnaissance (faible estime des managers ou des collègues, faibles possibilités de promotion, insécurité d’emploi).
Détresse psychologique
La détresse psychologique est définie comme un état de souffrance émotionnelle caractérisé par des symptômes dépressifs, et anxieux. Elle est associée aux troubles de santé mentale diagnostiqués, lesquels sont associés à de l’absentéisme chez les salariés.
Référence complète
Letellier, M. C., Duchaine, C. S., Aubé, K., Talbot, D., Mantha-Bélisle, M. M., Sultan-Taïeb, H., … & Brisson, C. (2018). Evaluation of the Quebec Healthy Enterprise Standard: Effect on Adverse Psychosocial Work Factors and Psychological Distress. International journal of environmental research and public health, 15(3), 426.
Méthode
Au total, 10 organisations québécoises ont participé à l’étude. Elles étaient issues des secteurs public (7/10) et privé (3/10).
Pour être admissibles à cette étude, les organisations participantes devaient être en processus de certification de la NES. Les participants devaient répondre à un questionnaire portant sur leurs besoins au regard des quatre domaines d’intervention et sur leur état de santé, au début du processus (T1), ainsi que 24 à 36 mois plus tard (T2). Lors de ce deuxième questionnaire, les participants devaient indiquer à quel point ils avaient perçu des changements dans leur travail en lien avec chacune des quatre domaines d’intervention de la norme.
Par exemple, ils devaient indiquer s’ils avaient perçu des changements en lien avec leur charge de travail, leurs relations sociales au travail, leur latitude décisionnelle et la reconnaissance au travail. Ces questions fournissent un indicateur du degré d’implantation des interventions liées à chacune des domaines de la norme, à savoir si celles-ci ont bel et bien été implantées dans chacune des 10 organisations.
- La taille des organisations variait de 103 à 1467 salariés. Tous les salariés (actifs et en congé) ont été sollicités par leur employeur pour participer.
- L’échantillon final comprenait 2 849 salariés à T1 et 2 560 salariés à T2 avec des taux de réponse variant entre 63 à 90 % selon les organisations.
- L’âge des participants variait entre 25 et 54 ans.
- Les participants ont occupé des postes de cadres, de professionnels, de techniciens, de personnel de bureau et de travailleurs manuels.
Que révèlent les résultats de l’étude?
L’article confirme qu’une grande détresse psychologique est associée à une exposition aux facteurs de risques au travail. Les interventions NES liées aux pratiques de management ont eu des effets bénéfiques pour réduire la détresse des salariés qui sont plus exposés à des changements dans ce domaine d’intervention. Donc, ceci implique que les interventions en milieu de travail ont le potentiel de réduire l’exposition des salariés à des facteurs de risques au travail et d’améliorer leur santé mentale.
1.
Au niveau des facteurs de risques au travail, suivant l’implantation de la NES, la moitié des organisations les plus exposées à des interventions liées aux pratiques de management rapportaient une amélioration du soutien social et de la reconnaissance. Ces mêmes organisations ont également vu la prévalence de la détresse psychologique diminuer.2.
Malgré ces changements positifs concernant le soutien social et la reconnaissance dans les cinq organisations les plus exposées à des interventions liées aux pratiques de management, les exigences psychologiques et la latitude dans les décisions n’ont pas été affectées.
Cela peut s’expliquer par le fait que les organisations soient plus ouvertes à augmenter le soutien social et la reconnaissance à travers un certain nombre d’activités sociales au sein de l’organisation, plutôt que de modifier les exigences psychologiques et la latitude dans les décisions.
Au final, ces résultats suggèrent que les interventions organisationnelles mises en oeuvre dans le domaine des pratiques de management ont amélioré l’environnement de travail psychosocial et ont eu des effets bénéfiques sur la santé mentale des salariés.
Que peuvent faire les organisations ?
Pistes d’action
Exemples
S’assurer d’un engagement ferme de la direction en faveur de la santé de son personnel.
- L’engagement doit venir de la plus haute direction de l’organisation.
- Les valeurs de l’organisation doivent être alignées avec les objectifs de prévention, de promotion et de pratiques organisationnelles visant la santé en milieu de travail.
Formation d’un comité sur la santé et le mieux-être.
- Le comité est responsable d’élaborer le programme de santé et mieux-être de l’organisation arrimé avec les enjeux et les préoccupations organisationnels.
- Le comité est aussi responsable d’évaluer les interventions réalisées dans le cadre du programme.
Procéder à une évaluation des besoins.
- Recueillir les suggestions des salariées sur les problèmes qu’ils jugent importants à inclure dans le programme.
- Recueillir des données sur les habitudes de vie, l’équilibre travail-vie personnelle, l’environnement de travail et les pratiques de management.
- Recueillir des données sur la satisfaction et les besoins des salariés en lien avec l’engagement visible des managers dans l’implantation du programme.
Soutenir la mise en oeuvre et l’implantation d’interventions de prévention, de promotion et de pratiques organisationnelles favorables à la santé.
- Mettre sur pied un calendrier des activités du comité sur la santé et le mieux-être.
- Planifier la façon dont les communications seront assurées pendant les interventions.
- Planifier les interventions en fonction du budget disponible de façon réaliste.
S’assurer de l’évaluation du changement et des retombées du programme auprès de la population visée.
- Obtenir un rapport d’évaluation suivant chaque intervention qui inclut le taux de satisfaction des salariés et le taux d’atteinte des objectifs du programme.
- Mener une évaluation qualitative suite au rapport d’évaluation afin de s’assurer que le processus répond aux attentes et aux objectifs initiaux.
Se doter d’une politique de formation des managers en matière de gestion des personnes.
- Mettre en place des critères d’embauche des managers qui favorisent les compétences en gestion des personnes.
- Offrir une formation continue aux managers sur la promotion de la santé psychologique.
COMMENTAIRES DE NOS EXPERTS
Cette recherche montre bien l’importance des approches organisationnelles pour améliorer la santé mentale des salariés en milieux de travail. Ces approches sont donc à privilégier, car elles visent la totalité des salariés, contrairement aux approches individuelles qui s’avèrent plutôt complémentaires. Par ailleurs, au-delà des activités favorisant le soutien des salariés, ainsi que leur reconnaissance, il ne faut pas négliger d’agir également sur l’autonomie et la charge de travail, même si ces actions sont souvent plus difficiles à réaliser, car elles touchent le droit de gérance et reposent sur la confiance.
POUR CITER CETTE INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH
Letellier, M.-C., Vézina, M., Biron, C. (2019). Facteurs de risque au travail. Interprétation scientifique Global-Watch disponible au www.global-watch.com
POUR CITER L’ARTICLE ORIGINAL DES AUTEURS DE L’ÉTUDE
Trudel-Fitzgerald, C., Savard, J., et Ivers, H. (2013). Which symptoms come first? Exploration of temporal relationships between cancer-related symptoms over an 18-month period. Annals of Behavioral Medicine, 45(3), 329-337.