Les espaces de travail partagés,

quoi en penser ?

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Interprétation scientifique

Il n’est pas loin derrière, le temps où le travail nécessitait forcément une présence physique fixe dans les locaux de l’organisation, en grande partie due aux limites de la technologie, qui disparaissent aujourd’hui au profit des ordinateurs portables, des téléphones intelligents et de l’internet sans fil. L’expansion rapide des technologies offre maintenant la possibilité aux organisations de sauver des frais par le télétravail, mais aussi en réaménageant et en décloisonnant les espaces de travail, qui peuvent désormais être partagés et accueillir plus de salariés dans un même endroit.

Ces espaces de travail partagés sont vus aussi comme innovants, modernes, flexibles et permettant un échange d’informations plus efficace et une meilleure communication. Est-ce réellement le cas? Il semble que ces espaces partagés présentent des défis importants pour les organisations et des obstacles au bien-être des salariés. Pour faire la lumière sur le sujet, Morrison et Macky (2017) ont publié une étude sur les conséquences liées aux espaces de travail partagés.

Conseillères expertes

Rosalie Lamontagne, étudiante à la maitrise, Faculté des sciences de l’activité physique, Université de Sherbrooke

 Marie-Ève Major, professeure d’ergonomie, Faculté des sciences de l’activité physique, Université de Sherbrooke

Auteurs

Étienne FOUQUET, auxiliaire de recherche, Université de Sherbrooke

 MARIE-ÉLISE LABRECQUE, professionnelle de recherche, Université de Sherbrooke

 

Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke.

Qu’entend-t-on par ?

Espaces de travail partagés

Les bureaux partagés dans des espaces ouverts, communément appelés des espaces de travail partagés,sont généralement des salles ouvertes équipées de grandes tables sur lesquelles les salariés peuvent s’installer avec leur ordinateur portable, sans place dédiée.

Le modèle des demandes et des ressources au travail

Dans ce modèle, les demandes liées à un travail représentent un stress cognitif ou émotionnel prolongé, qui entraîne des coûts physiologiques ou psychologiques. Pensons, par exemple, à une pression de travail élevée, un environnement physique défavorable ou des interactions émotionnellement exigeantes. Les espaces de travail partagés peuvent imposer des exigences supplémentaires et une charge accrue aux salariés en créant un environnement de travail où la vie privée peut être réduite, où les distractions sociales potentielles sont amplifiées et où des interactions négatives ou émotionnellement exigeantes avec les autres peuvent survenir.

À l’inverse, les ressources liées à un travail aident à atteindre les objectifs, à rencontrer les exigences du travail et à stimuler la croissance et le développement personnel. On peut penser au soutien social des collègues, au support de supervision et au retour d’informations sur les performances.

Le modèle des demandes et des ressources au travail prévoit que, d’un côté, les demandes engendreront des coûts, drainant l’énergie d’un individu et entraînant des tensions et des problèmes de santé, alors que les ressources auront un potentiel de motivation et conduiront à un engagement et à une performance accrus. Les ressources permettront donc d’aider à rencontrer les exigences des demandes et cet équilibre pourrait contribuer à favoriser le bien-être au travail et la productivité.

 

Demandes et ressources

Pour arriver à leurs fins, les auteurs ont relevé les trois demandes et les deux ressources les plus importantes dans la littérature, afin de mesurer leurs effets sur les salariés travaillant dans des espaces partagés.

Les trois demandes sont les distractions (visuelles et sonores), les comportements non coopératifs (comportements de retrait et d’isolement), les relations négatives et la méfiance (les espaces impersonnels briment l’identité individuelle et créer des tensions). Les deux ressources sont les amitiés entre collaborateurs (la proximité peut créer des amitiés qui favorisent le bien-être et la communication) et le support des managers (perception que les managers ont à cœur le bien-être des salariés).

Référence complète

Morrison, R. L., et Macky, K. A. (2017). The demands and resources arising from shared office spaces. Applied ergonomics, 60(1), 103-115.

Méthode

Pays : Australie

Recrutement des participants : Banque de participants salariés en ligne

 Nombre de participants : 1000

Méthode utilisée : Questionnaire en ligne

Sexe : 55 % femmes, 45 % hommes

Âge moyen : 46 ans

Ancienneté moyenne : 6 ans

Que révèlent les résultats de l’étude?

Les auteurs ont lié les trois demandes et les deux ressources identifiées à la réalité des espaces de travail partagés. Voici ce qu’il en ressort :

Demandes :

  • Les distractions, les comportements non coopératifs et les relations négatives et la méfiance se sont avérés plus importants dans les espaces de travail partagés que dans les autres types d’aménagement de travail (bureaux privés ou partagés seulement par deux ou trois personnes).

 

  • Les demandes sont effectivement plus importantes dans les espaces de travail partagés, mais il semble qu’elles sont beaucoup atténuées lorsque les salariés ont des postes de travail attitrés dans ces espaces.

Pistes interprétatives

Un des grands enjeux des espaces de travail partagés semble être l’impossibilité de personnaliser son espace de travail, avec des photos de famille, des affiches ou autres objets décoratifs. En effet, lorsque les postes de travail ne sont pas attitrés, il est impossible pour les salariés de se les approprier et, par le fait même, d’affirmer leur identité et de favoriser leur sentiment d’appartenance à l’organisation, ce qui ce qui créer des tensions supplémentaires.

Ressources :

  • Les amitiés entre collaborateurs sont moins nombreuses dans les espaces de travail partagés, par rapport à celles que l’on retrouve dans les arrangements où les bureaux sont privés ou chez les personnes qui travaillent principalement à la maison ou sur la route.

 

  • Les salariés qui travaillent dans des espaces de travail partagés ont déclaré percevoir moins de soutien organisationnel que les salariés qui travaillent dans d’autres types d’aménagement de travail

Pistes interprétatives

Les espaces aménagés de façon plus isolée impliquent un contact moins fréquent et moins direct avec les collaborateurs et les managers. Cela aurait pour effet d’augmenter la perception positive de ces relations, de par leur fréquence moindre. En effet, si les contacts sont moins fréquents, il y a plus de chances qu’ils soient généralement positifs et perçus ainsi, contrairement aux espaces de travail partagés, où les contacts serrés brisent cet effet.

En se basant sur le modèle des demandes et des ressources au travail, les auteurs en viennent à la conclusion que dans le cas des espaces de travail partagés, les demandes sont bien présentes, alors que les ressources semblent insuffisantes, ce qui déséquilibre la relation entre les variables et, par le fait même, diminue le bien-être et la productivité des salariés dans ce type d’aménagement de travail.

PISTES D’ACTION POUR LES EMPLOYEURS

Espace physique de travail

  • Permettre l’attribution et une personnalisation des espaces de travail.
  • Utiliser des panneaux (plein ou végétaux) ou des étagères pour diminuer les distractions visuelles.
  • Donner accès à des équipements de réduction du bruit (casque, etc.).
  • Permettre un accès à des bureaux fermés par réservation.
  • Offrir l’accès à des salles fermées adaptées à des rencontres d’équipes.
  • Créer des espaces de travail en petits groupes (fauteuils et tables aménagés pour permettre un travail collaboratif spontané et informel).
  • Mettre à disposition des salariés un endroit où il est possible d’utiliser des casiers pour ranger de l’équipement et des documents papier.

Relation entre salariés et managers

  • S’assurer que la relation avec les managers ne se limite pas à leur simple présence ; prévoir des moments individuels de rétroaction et de mentorat.
  • Prévoir du temps pour la supervision dédiée ou des réunions d’équipe réservées, éventuellement avec des écrans et des écouteurs pour plus d’intimité dans la relation de supervision.
  • Tester l’environnement de travail et la participation des salariés à la conception des espaces de travail dans le cadre d’une approche centrée sur l’utilisateur pour l’introduction d’espaces de travail partagés.
  • Planifier des évaluations des arrangements de travail par les salariés et les managers, afin de s’adapter rapidement si l’environnement n’est pas optimal.

RECOMMANDATION DE NOS EXPERTES

  • Analyser l’activité de travail réalisée afin de déterminer si les espaces de travail partagés sont appropriés et permettent de répondre aux exigences du travail. Malgré les avantages que peut apporter ce type d’espaces, si ceux-ci nuisent à la personne dans la réalisation du travail, ces espaces ne peuvent être envisagés comme une solution. D’autres interventions organisationnelles pourraient être plus appropriées, d’où l’importance d’effectuer des analyses approfondies du milieu de travail.
  • Inclure les salariés dans l’élaboration du projet de changement et dans le processus de prise de décision concernant les installations en considérant leur opinion et leur grande expertise sur le travail est une formule gagnante. En effet, ils sont les experts de leur travail et peuvent donc apporter des idées intéressantes et applicables au travail tel que réalisé.
  • Mettre en place un système permettant aux salariés de donner leur opinion sur une base régulière afin de savoir ce qui nécessite des améliorations (exemples : questionnaire en ligne, boîte à suggestions, etc.).
  • S’assurer de laisser une certaine marge de manœuvre aux salariés en ne leur imposant pas un espace de travail et en leur permettant plutôt de se déplacer d’un espace de travail partagé à un espace isolé au cours de la journée en fonction de leurs besoins.
  • Séparer les salariés en sous-groupes sur la base de la nature de leur travail ou regrouper les salariés ayant à collaborer fréquemment dans différentes pièces. De cette manière, les salariés partagent leur espace avec des collègues présentant sensiblement les mêmes besoins qu’eux (exemple : le besoin de tranquillité afin d’effectuer du travail avec demandes psychologiques élevées) et sont exposés à de moins grands groupes.
  • Mettre à la disposition des salariés du mobilier ajustable (exemples : chaises, bureau de travail, etc.). Étant donné qu’aucune place n’est assignée, plusieurs salariés de différents gabarits utiliseront un même poste de travail. Il est donc primordial de s’assurer que chacun puisse être confortable.
  • Établir des règles de vie et un mode de fonctionnement clair afin de respecter chacun des utilisateurs (exemples : garder l’environnement de travail propre, port du casque d’écoute, usage du téléphone dans des pièces fermées, etc.).

 

POUR CITER CETTE INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH

Lamontagne, R., Major, M.-E., Fouquet, E., Labrecque, M.-E. (2019). Les espaces de travail partagés, quoi en penser? Interprétation scientifique Global-Watch disponible au www.global-watch.com

POUR CITER L’ARTICLE ORIGINAL DES AUTEURS DE L’ÉTUDE

Morrison, R. L., et Macky, K. A. (2017). The demands and resources arising from shared office spaces. Applied ergonomics, 60(1), 103-115.

Pierre Breton
Author: Pierre Breton