Où se situe la limite entre dépendance au travail et engagement professionnel?

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Interprétation scientifique

Vous vous asseyez à votre bureau, vous ouvrez un rapport que vous avez hâte de terminer et de ce pas, vous vous mettez au travail. Dans cet élan de concentration, sans vous en rendre compte, vous avez manqué toutes vos pauses et tout le monde a déjà quitté le bureau, sauf vous! Et ce cycle se répète jour après jour. Les employés travaillent de manière excessive pour différentes raisons. Certaines personnes se perdent dans leur travail parce qu’elles aiment leur métier et qu’elles s’y épanouissent. Tandis que d’autres se sentent obligées de travailler de manière excessive, même si elles n’aiment pas cela, car elles se sentent coupables de ne pas travailler. Il est important de déterminer la nature de l’investissement professionnel, car si les premières personnes peuvent assurer un rendement bénéfique sur leur productivité et leur santé, les secondes sont plus souvent confrontées à une mauvaise santé et des problèmes de productivité sur le long terme.

Mais comment peut-on distinguer le type d’investissement professionnel dans lequel les employés s’engagent? Dans leur article de 2019, Di Stefano et Gaudiino cherchent à explorer les similitudes et les différences entre les deux types d’investissement professionnel, à savoir la dépendance au travail et l’engagement professionnel, en se penchant sur l’influence de la nationalité.

Experte

Maria GAUDIINO, doctorante à la KU Leuven, Belgique

Auteures

Kimberly SHARPE, auxiliaire de recherche, Université de la Colombie-Britannique, Canada
Marie-Élise LABRECQUE, coordonnatrice de recherche, Université de Sherbrooke, Québec, Canada

Cette initiative a été rendue possible grâce à une collaboration avec l’Université de Sherbrooke.

QU’ENTEND-ON PAR :

Dépendance au travail

La forme pathologique de l’investissement professionnel.

Une personne qui consacre un temps excessif à son travail, sans que cela soit justifié par des préoccupations financières ou des exigences organisationnelles, mais plutôt par une compulsion qui la pousse à travailler.[1]Cette compulsion est provoquée par un sentiment de détresse ou de culpabilité que la personne ressent lorsqu’elle ne travaille pas.

Les personnes dépendantes au travail négligent les autres domaines de leur vie, comme leur santé ou leur vie sociale. Cette forme d’investissement professionnel implique une santé mentale et physique plus fragile, des relations sociales médiocres et un important conflit entre travail et vie personnelle.

Bien que les bourreaux de travail puissent être très productifs à court terme, leur mauvais état de santé et leur incapacité à déléguer et à se fier à leurs collègues peuvent engendrer des problèmes de productivité sur le long terme.

 

Quels aspects caractérisent la dépendance au travail?

Le travail excessif : consacrer trop de temps à des activités professionnelles.

Le travail compulsif : le besoin fondamental de travailler et le sentiment de culpabilité ressentis par une personne lorsqu’elle ne travaille pas – mettant ainsi en évidence le facteur addictif de la dépendance au travail.

 

Engagement professionnel

La forme saine de l’investissement professionnel.

Les personnes engagées s’investissent énormément dans leur travail en manifestant leur volonté et leur plaisir de travailler sans sacrifier les autres domaines de leur vie.[2] Cet état d’esprit est considéré comme positif et épanouissant.[3]

L’engagement professionnel est associé à des émotions positives, une bonne santé et un meilleur rendement.

Quels aspects caractérisent l’engagement professionnel?

Vigueur : le niveau d’énergie permettant de maintenir un bon investissement professionnel.

Dévouement : pensées et sentiments qui rendent les employés fiers, engagés et enthousiastes vis-à-vis de leur travail.

Focalisation : une intense concentration; les employés ont du mal à décrocher de leur travail.

 

Référence complète

Di Stefano, G., Gaudiino, M. (2019). Workaholism and work engagement: how are they similar? How are they different? A systematic review and meta-analysis. European Journal of Work and Organizational Psychology, 28(3), 863-879. DOI: 10.1080/1359432X.2019.1590337

Méthode

Une analyse documentaire qui combine et examine des données provenant de multiples études afin de déterminer dans quelle mesure les caractéristiques de la dépendance au travail et de l’engagement professionnel peuvent se rejoindre ou être associées.

Étude réalisée en : Italie
Nombre d’articles : 27
Nationalités concernées par l’étude : chinoise, néerlandaise, finnoise, israélienne, italienne, japonaise, polonaise, espagnole, turque

Que révèlent les résultats de l’étude?

Les auteurs ont constaté que la dépendance au travail et l’engagement professionnel sont distincts, mais que certains de leurs aspects se rejoignent :

En quoi l’engagement professionnel

et la dépendance au travail se rejoignent

En quoi l’engagement professionnel

et la dépendance au travail se distinguent

La focalisation qui caractérise l’engagement professionnel est liée au travail excessif et compulsif, synonyme d’une dépendance au travail

  • Être focalisé sur ses activités professionnelles implique d’y consacrer plus de temps. Par conséquent, les employés engagés sont plus susceptibles de travailler au-delà des heures normales.
  • La focalisation peut être liée au côté compulsif de la dépendance au travail dans la mesure où les employés peuvent avoir du mal à s’arrêter.

Il n’existe aucun lien entre le travail compulsif synonyme d’une dépendance au travail et le dévouement et la vigueur qui caractérisent l’engagement professionnel

  • Cette constatation suggère que la différence déterminante entre les deux types d’investissement professionnel réside dans le besoin fondamental qui motive cet investissement.
  • Pour les personnes dépendantes au travail, ce besoin fondamental se traduit par un sentiment d’obligation, d’obsession et de détermination. En revanche, pour les personnes engagées, ce besoin fondamental repose sur le dévouement, la fierté et l’enthousiasme dans le travail, mais aussi sur un sentiment de vitalité, de force et d’énergie ressenti sur le lieu de travail.

Le rôle de la nationalité

Les auteurs ont constaté que les différences entre la dépendance au travail et l’engagement professionnel sont contextuelles et reposent sur la nationalité de l’employé.
Les points de vue sociaux, économiques et culturels en matière d’éthique de travail déterminent la façon dont les employés perçoivent leur expérience de travail en termes de dévouement et d’énergie, ou bien de compulsion et de culpabilité.
Cependant, ce domaine nécessitera des recherches ultérieures pour pouvoir identifier des tendances concrètes.

Pistes d’action pour les employeurs

Utiliser (et enseigner) la délégation des tâches

  • Assurez-vous que les employés (en particulier les gestionnaires responsables d’une équipe) soient en mesure de déléguer efficacement leur travail à des collègues. Cela permet de mieux gérer et contrôler le temps passé au travail. À l’inverse, la non-délégation pourrait entraîner une charge de travail excessive et un épuisement professionnel précoce.
    Il existe plusieurs façons de procéder. Par exemple :
    • Favoriser une culture organisationnelle positive qui encourage le travail d’équipe.
    • Offrir aux employés, y compris aux gestionnaires, une formation sur les compétences non techniques (comme la délégation de tâches). Par exemple, des sessions de formation peuvent être organisées dans le cadre de séminaires informels comme des «dîners-conférences».

Encourager l’équilibre travail-vie personnelle

  • Faites valoir des politiques et des programmes favorisant l’équilibre travail-vie personnelle afin de protéger la vie privée et relationnelle des employés et leur éviter du stress.
    • Les gestionnaires peuvent donner des exemples positifs en faveur de l’adoption de ces politiques ou programmes. Par exemple, si l’organisation a adopté une politique « aucun courriel en dehors des heures de travail », les gestionnaires peuvent montrer la voie en arrêtant de répondre aux courriels en dehors du travail ou encore en montrant aux employés qu’ils sont en repos les fins de semaine.
  • Des modalités de travail flexibles peuvent permettre aux employés de mieux gérer leurs responsabilités en dehors du travail.
    • Les employeurs doivent garder à l’esprit que les bourreaux de travail peuvent travailler de longues heures lorsqu’ils sont autonomes dans la gestion de leur horaire. Il est important de discuter avec les employés des avantages et des inconvénients du travail flexible et la façon d’en tirer le meilleur parti pour favoriser l’équilibre travail-vie personnelle.

Se concentrer sur la qualité

  • Mettez l’accent sur la qualité du travail plutôt que sur le nombre de tâches accomplies. Travailler plus longtemps ne signifie pas travailler mieux.
    • Par exemple, structurez le système de récompense de votre organisation de manière à reconnaître la qualité et non le nombre d’heures ou de tâches effectuées.
  • Les gestionnaires peuvent aider les employés à gérer leur temps. Par exemple, en identifiant les tâches importantes afin que les employés puissent mieux cibler leurs efforts ou en s’assurant qu’ils disposent d’un temps de travail ininterrompu pour accomplir leurs tâches.

Prendre en compte les facteurs culturels dans le cadre de l’éthique du travail

  • Les employeurs doivent tenir compte des différences culturelles sur le plan de l’éthique du travail avant de déterminer si un employé montre des signes d’obsession professionnelle.
  • Une culture organisationnelle qui encourage la délégation des tâches, le travail d’équipe, l’équilibre travail-vie personnelle et la recherche de qualité peut permettre d’améliorer la qualité de vie professionnelle pour les différentes cultures.

 

POUR CITER CETTE INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE GLOBAL-WATCH

Gaudiino, M., Sharpe, K., Labrecque, M.-E. (2019). Où se situe la limite entre dépendance au travail et engagement professionnel?. Interprétation scientifique Global-Watch disponible au www.global-watch.com

POUR CITER L’ARTICLE ORIGINAL DES AUTEURS DE L’ÉTUDE

Di Stefano, G., Gaudiino, M. (2019). Workaholism and work engagement: how are they similar? How are they different? A systematic review and meta-analysis. European Journal of Work and Organizational Psychology, 28(3), 863-879. DOI: 10.1080/1359432X.2019.1590337

Références

1. Schaufeli, W. B., Taris, T. W., & Bakker, A. B. (2008). It takes two to tango: Workaholism is working excessively and working compulsively. In R. J. Burke & C. L. Cooper (Eds.), The long work hours culture: Causes, consequences and choices (pp. 203–226). Bingley, UK: Emerald.

2. Vallerand, R. J., Blanchard, C., Mageau, G. A., Koestner, R., Ratelle, C., Léonard, M., … Marsolais, J. (2003). Les passions de l’âme: On obsessive and harmonious passion. Journal of Personality and Social Psychology, 85(4), 756–767.

3. Schaufeli, W. B., Salanova, M., González-Romá, V., & Bakker, A. B. (2002). The measurement of engagement and burnout: A two sample confirmatory factor analytic approach. Journal of Happiness Studies, 3(1), 71–92.

Pierre Breton
Author: Pierre Breton